Une nuit, Michel Zoladz m’a dit qu’il s’était installé dans le Berry pour y être tranquille. Mais en vingt ans, le Berry a eu sur lui des effets inattendus. D’abord son accent parisien s’est perdu dans nos plaines. Il a dû fondre avec la neige, à la sortie d’un hiver, et s’en est allé rejoindre doucement le sol de Menetou-Salon.
Ensuite, son regard est devenu plus perçant.
Michel, peu à peu, a appris à discerner des visages dans les troncs d’arbres morts, qu’il photographie autour de son village. Ces arbres, frappés par la foudre, dentelés par la chaleur du feu, mais qui restent debout, que personne n’abat, parce que chez nous les gens pensent encore –peut-être à juste titre- que ces troncs creux sont des maisons de sorciers…
Michel peu à peu. C’est un nom qui lui va bien. Jamais pressé, mais toujours à propos. Toujours curieux. Curieux du monde qui l’entoure, et surtout curieux des autres. Tous ceux qu’on risque de ne pas voir en passant à côté sans les regarder, tous ceux qui peuvent disparaître parce qu’on ne les écoute pas… Les ouvriers, les laissés pour compte, les cafés de quartiers, les gueules cassées, Michel les grave sur du papier pour qu’on ne les oublie pas.
Comme un archéologue du présent.
Ce n’est pas un hasard s’il s’est installé dans la région , s’il nous parle des potiers aujourd’hui.
En artisan du partage, il sait bien que la terre, c’est finalement la seule chose que, justement, nous partageons tous d’une manière ou d’une autre. Et dans les regards d’artistes qu’il nous offre en ces pages, il a vu depuis longtemps une connexion directe avec le sol…
Avant notre rencontre, la céramique était pour moi un univers mystérieux, compliqué…
Un monde inconnu et inaccessible.
Il m’en a expliqué toute l’humanité.
Il m’a expliqué pourquoi on pouvait cuire une œuvre des années et des années après sa création et cela m’a fasciné ; expliqué pourquoi tant de gens se sont installés à La Borne. Il m’a parlé de cette veine d’argile qui passe en dessous, juste en dessous de nous…
Encore une fois, pas de hasards.
Le partage, la création.
Dans les vieux livres de mythologie, Pausanias rapporte qu’on lui montra en Phocide des pierres ayant la couleur de l’argile et une odeur analogue à celle de la chair humaine. C’était, lui dit-on, le reste de l’argile avec laquelle « Prométhée avait pétri la race humaine ».
Je vois dans la céramique de La Borne et dans les photographies de Michel Zoladz la même œuvre de vie.
Guillaume Ledoux